13/07/2014
"Mais vous, heureux vos yeux et vos oreilles !"
"...Ils regardent sans regarder, et ils écoutent sans écouter ni comprendre. Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas..." :
Extrait du difficile début de Matthieu 13, ce passage nous prend de plein fouet, catholiques français de 2014. Il nous dit que notre catholicisme n'est peut-être pas tout à fait un christianisme.
« Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit », dit le Christ dans ce même passage.
Comprenons bien (les exégètes nous y aident) : si le « souci du monde » et « la séduction de la richesse » nous rendent sourds et aveugles à une Parole que pourtant nous entendons à travers les deux Testaments et les applications du Magistère, c'est que nous sommes moins chrétiens que dualistes : à Dieu nos pieux loisirs, mais à Mammon la réalité quotidienne (« il faut bien vivre, et vivre bien »). Nous ne sortons de cet irénisme que dans les cas où Mammon, qui s'empare de tout, s'empare aussi de choses qui nous tiennent à coeur : la famille, les enfants et ce que nous appelons la morale : alors là nous nous échauffons, nous protestons (tout de même pas jusqu'à admettre que le danger vient de Mammon), et nous croyons faire avec ça tout notre devoir de chrétiens, parce que nous croyons que les devoirs du chrétien se limitent à ça. [*]
Ce qui nous ramène à ce qu'on disait ici le 10 juillet, sur les causes secondes et les causes premières. La cause première de l'impasse occidentale est l'oubli du Créateur-Rédempteur. Mais si nous invoquons cette cause première pour faire le silence sur les causes secondes (économiques, sociales et politiques) de ladite impasse, nous offensons le Créateur-Rédempteur : nous ne raisonnons plus en chrétiens. Une des responsabilités du chrétien est en effet de discerner les causes secondes... et d'agir sur elles, comme les papes et les évêques nous y exhortent.
On dira : « oui, mais le domaine économique, social et politique est celui des controverses qui divisent les catholiques. » C'est exact. Mais ça ne dispense pas le catholique de se mesurer à ces problèmes, parce qu'ils font partie du concret où se mesure notre fidélité au Christ. Je veux dire : le Christ de l'Evangile, le Vivant qui regarde chacun ; pas le Christ des slogans, des drapeaux et des prétextes claniques.
Si nous nous dérobons au regard du Christ sur chacun de nous, alors nous esquivons les exigences évangéliques incompatibles avec la société présente. Et nous tombons dans ce trucage : réduire le paysage à deux régions que nous nommerons faussement le « spirituel », d'un côté, et les « réalités », de l'autre. Nous dirons que les devoirs du chrétien en tant que tel se réduisent au « spirituel » (rites et dogmes), et pour le reste nous nous adonnerons à la « réalité » de Mammon : la « règle du jeu », dirons-nous hypocritement, comme s'il s'agissait d'un jeu et comme si Mammon ne modifiait pas constamment les règles. Et nous aurons beau jeu, justement, de prétendre que sur l'économique et le social le catholique peut penser autre chose que l'Eglise, puisque « ce ne sont pas des dogmes ». « Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent...»
Mais il y a la fin du passage de Matthieu 13 : « Vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! » Qui désigne ce « vous » ? Les saints. Essayons de les rejoindre.
__________
[*] Alors qu'il s'agit simplement de la condition humaine, que le christianisme assume mais à laquelle il ne se résume pas.
18:44 Publié dans Idées, Témoignage évangélique | Lien permanent | Tags : christianisme